Mise à jour : 2015
___ Les carnets de bord de Martine___

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Carnet de bord 2003

En mer Égée

LA VENGEANCE DE MELTEM

Un conte néo mythologique qui a du souffle...
ou la mythologie racontée aux marins



Dire à quel moment l’événement s’est produit serait difficile… et même présomptueux mais, ce dont nous sommes persuadés c’est qu’il s’est produit il y a très très longtemps, à l’époque où les Dieux Grecs régnaient en souverains. Nous sommes sur une île de la mer Égée, entre Grèce continentale et Turquie. Sans que personne ne puisse donner d’explication, il n’y fait que pleuvoir. Depuis des années, de trop longues années, orages et grains se succèdent sans raison apparente. Les habitants n’ont jamais connu le soleil. Ils ne cessent de se lamenter, de prier tous les Dieux qu’ils connaissent. Rien n’y fait, leurs cultures pourrissent, les terrains sont régulièrement inondés, les toitures de leurs habitations n’arrivent pas à arrêter ces eaux diluviennes. Les animaux domestiques, le bétail, les volailles se noient. L’île se dépeuple, les jeunes s’en vont ailleurs, vers des contrées moins difficiles.

Dans un joli petit théâtre de marbre, le Bouleterion, qu’ils ont été obligés de couvrir d’un toit de bois pour se protéger, les élus se réunissent souvent. Leurs discussions tournent toujours autour de ce problème. Comment faire cesser cette pluie ? Un soir enfin, alors que le gouverneur propose aux autres notables d’affréter un bateau pour que la population de l’île aille coloniser une île plus accueillante, un Prêtre qui vient rarement participer aux débats émet une idée, une idée toute simple, évidente.

Tout le monde s’en veut de ne pas y avoir pensé plus tôt. Effectivement, pour chasser les nuages, il faut du vent et, de mémoire d’homme, il n’y a jamais eu de vent sur cette île. Mais, si l’idée est recevable, comment peut-on obliger un vent à venir souffler sur l’île pour chasser ces nuages noirs ?
Le Prêtre leur explique alors que Zeus est le Dieu des Dieux et qu’il a tout pouvoir sur son frère, Poséidon, Dieu de la Mer mais surtout sur le fils de Poséidon, Éole. Ce dernier a eu une enfance difficile et il est très instable, incapable, paresseux et noceur. Zeus voudrait bien lui donner un rôle important dans le domaine des vents mais il ne peut lui faire confiance. Le Prêtre est persuadé que seul le Dieu des Dieux pourrait résoudre leur problème. L’assemblée des élus lui propose alors d’être leur émissaire auprès de Zeus pour qu’il leur détourne un peu de vent.

Certes, Zeus le reçoit avec gentillesse mais avec un soupçon d’ennui. Il a tant de choses à faire que cette petite île perdue ne l’intéresse pas vraiment. Le Prêtre insiste, insiste, avec même une pointe d’impolitesse au moment où Zeus veut le congédier mais rien n’y fait, Zeus n’a que faire de cette requête. Soudain, pourtant, une idée germe dans l’esprit du Dieu des Dieux : « Et si son petit-fils, ce paresseux d’Éole, voulait s’occuper de cette affaire ? Poséidon commence à être agacé par les orgies, les fêtes, les frasques d’Éole et menace de mettre ce fils indigne à la porte. Zeus va lui confier cette mission qui pourrait le rendre un peu responsable, sinon utile et raisonnable. »

Éole n’a guère envie de travailler et de quitter son environnement de plaisirs mais il sait qu’il est entré en disgrâce. Il accepte l’offre et accompagne l’émissaire dans l’île de la pluie sans même savoir s’il pourra venir en aide à ses habitants dont il n’a que faire. La vision de cette contrée ravagée par cette incessante pluie lourde et l’accueil reçu, si prodigieux et empreint d’un tel espoir l’incite à essayer. Il se fait accompagner au sommet du cap situé à la pointe extrême de l’île, lève les bras vers le ciel et souffle vers les nuages. Il souffle avec force trois fois et, soudain, la population qui l’avait suivi perçoit une sensation nouvelle. Un vent léger, se met à souffler, gentiment, sans grande force, juste de quoi effleurer les joues, soulever quelques cheveux et rider la mer en levant quelques vaguelettes. C’est certainement Zéphyr « le vent de la brise » qui est venu l’aider. Le souffle de Zéphyr est suffisant pour créer un trou dans l’épaisse couche de nuage. La pluie cesse de tomber. Le soleil perce enfin et réchauffe la terre. La population émue fait une ovation à Éole. Et ce vent, ce vent tant espéré souffle ainsi pendant toute la journée. Si cela pouvait durer !

Quelle fête ce soir là ! Mais, pendant la nuit et le repos d’Éole, Zéphyr rentre dans sa caverne des îles Lipari où il y retrouve ses frères Borée et Notos. La brise tombe alors et une petite pluie fine arrose de nouveau le sol. Qu’à cela ne tienne, le lendemain matin, Éole repart vers le cap, souffle vers les nuages, rappelle Zéphyr et le même phénomène se reproduit. Il réussit à créer ainsi un climat idéal où la fine pluie de la nuit suffit à arroser les plantes et le soleil du jour leur apporte la lumière et la chaleur dont elles ont besoin. Les récoltes sont opulentes, les animaux se développent sans maladie. La richesse est enfin présente dans l’île.

Le moral est revenu. Zeus est si fier de son petit fils qu’il le nomme « Dieu des Vents » et, patron des trois frères : Zéphyr la Brise, Borée le Vent du Nord et Notos, le Vent du Sud. Mais Éole s’impatiente un peu. Il veut bien aller tous les matins lever les bras vers les nuages et souffler trois fois pour obtenir la venue de Zéphyr mais, le reste de la journée, il s’ennuie et ses idées de fête le reprennent. Il est vrai qu’il est respecté par la population mais il est trop petitement logé pour s’adonner à ses plaisirs. Il menace même de partir si les habitants ne font pas un effort en ce sens.

Les notables conscients de l’importance d’Éole décident immédiatement de lui construire la plus belle habitation jamais édifiée. Sur le cap, ils bâtissent un superbe temple de marbre d’un blanc immaculé. 36 colonnes à la base, un deuxième étage soutenu par de petites colonnades habilement sculptées, des fresques et des statues superbes, un sol de mosaïques rares, en pâte de verre, des fontaines, une salle d’eau chaude… Un prince n’aurait pas été mieux loti. Et c’est ainsi que, pour un petit souffle quotidien qu’il peut maintenant donner de son large balcon, Éole peut reprendre, dans le luxe, ses orgies, ses fêtes, ses frasques.

Ce qui devait arriver arriva, Yasmina, une danseuse turque qui égayait ses soirées attend un enfant de lui. Lorsque Éole apprend cette nouvelle, il entre dans une mémorable colère. Il n’a que faire d’un enfant - qui plus est conçu avec une danseuse turque. Son père, Poséidon le Dieu de la Mer ne le lui pardonnerait certainement pas. Il chasse purement et simplement la pauvre Yasmina. Que peut-elle faire d’autre que de rentrer dans son village, en Turquie, pour mettre au monde son bébé. L’enfant est superbe, mais comment l’appeler ? Ce sera Meltem qui signifie symboliquement « Venu de Turquie ».

Meltem grandit sagement auprès de Yasmina mais il se rend vite compte qu’il est isolé. Les parents de Yasmina, les voisins, le village en veulent à la danseuse d’avoir été souillée par ce Dieu grec et rejettent Meltem. L’enfant n’a pas d’amis et s’ennuie. Un jour, en âge de comprendre, n’y tenant plus, il demande à sa mère pourquoi il est ainsi traité. Yasmina ose alors lui raconter son secret, son histoire, la souillure commise par son père, Éole. Meltem découvre alors qu’il est le fils d’un Dieu grec mais que ce Dieu est indigne. Il entre alors dans une grande colère et un profond désir de vengeance envers tous ces Dieux de pacotille l’envahit. Il s’en confie à son grand-père qui lui dit alors :

- « Je comprends la haine qui te ronge. Je ne crois pas que tu puisses un jour en guérir mais je te conseille de partir à la recherche de la « Source du Château de Coton », c’est à Pamukkale, une colline de neige dans un lieu brûlé par le soleil. Un mage que je connais pourra alors te venir en aide »

Meltem embrasse sa mère en larmes et part. Il s’enfonce à l’intérieur de la Turquie jusqu’à ce qu’il trouve enfin cette superbe colline toute blanche. Non ce ne peut pas être de la neige. La colline est couverte d’une roche calcaire exceptionnelle, d’un blanc pur et c’est une source, une source chaude très particulière qui se répand sur le sol en le recouvrant de ce sédiment blanc. Cette eau crée, en se répandant tout au long de la pente, de larges vasques d’eau bleutée semblable à une fonte de glacier.
Cette eau surprenante sort d’une grotte où un personnage barbu, le mage, s’appuyant sur une canne, semble attendre le jeune Meltem.

« Meltem, je t’attendais depuis longtemps. Je sais quelle est ta douleur. Je tiens à te prévenir, je ne peux rien contre ta colère, elle ne se calmera certainement jamais. Si tu veux assouvir ta vengeance, plonge dans cette eau en faisant vœu de représailles. »

Meltem n’a aucune hésitation, sa haine est trop violente. Il avance vers la source et s’enfonce dans l’eau chaude d’un bleu de glace. Dès que sa tête est immergée, un tourbillon de vent semble le remplacer et s’échappe de la source. Il sort de la grotte, s’amplifie, tournoie, se développe, monte et dans un hurlement de haine, fonce en direction de la mer Égée. La vengeance de Meltem va pouvoir s’assouvir.

C’est ainsi que, depuis, sans qu’on puisse le prévoir, Meltem quitte la Turquie, balaye au passage ses côtes de son souffle sauvage pour rappeler à Yasmina qu’elle n’aurait jamais dû succomber à Éole et se répand ensuite sur toute la Mer Égée, à la recherche des îles grecques. Tous les marins le craignent et cherchent des indices annonçant sa venue – pas d’humidité sur le pont du bateau le matin, mer qui « travaille » au large… - mais il déjoue toutes les supputations et frappe alors qu’on ne l’attend pas. Il aime vagabonder sur l’eau, raffaler soudainement, par paquets de bourrasques, soulever quelque écume et, dès qu’il aperçoit une côte, sans prévenir, avec une violence brutale et un hurlement de bête sauvage, prendre de la vitesse, espérant surprendre un hôte de Poséidon, un bateau en navigation. Il escalade alors en pleine force les flancs de l’île, atteint ses sommets et, tel un skieur fou, dévale les pentes opposées pour balayer les criques tranquilles au pied de ces hauteurs. L’été, son grand plaisir est de voir se dessécher ces pentes brûlées par un soleil qu’aucun nuage ne vient masquer. Mais il faut surtout craindre son sommeil. Ses rêves tournent souvent au cauchemar. C’est alors qu’il se réveille et la nuit, il répand son souffle strident et rageur sur la mer. Une certitude alors, sa colère ne s’apaisera pas dans la journée, bien au contraire, il sera d’une redoutable férocité. Sa roublardise réside dans le fait qu’il ne souffle pas régulièrement. Il s’arrête brusquement laissant place à un grand calme, et, au moment où le marin reprend confiance et se détend un peu, il lui projette à la face une véritable muraille d’air, bousculant le bateau, levant vague sèche et blanche écume.

Poséidon, le père d’Éole est catastrophé. S’il avait su que son fils allait avoir un enfant de Yasmina, il lui aurait pardonné et aurait accueilli le bébé comme un vrai petit fils. Mais il n’en a rien su et il paye lui aussi, maintenant, un lourd tribu à la vengeance de Meltem. Trop de bateaux, hôtes de ses mers, ont douloureusement souffert de la confrontation avec les rafales de Meltem. Il a bien essayé d’intervenir, de demander à Éole d’envoyer Borée, Zéphyr et Notos pour lutter contre ce sauvage mais sans résultat. Le combat entre les vents est inégal, et, surtout l’été, tourne à l’avantage de Meltem. La chaleur du soleil lui donne une force invincible et ce n’est que l’hiver qu’on peut espérer un répit. Il retourne en effet se blottir dans sa source blanche et s’endort paisiblement, laissant alors les autres vents libres d’amener quelques nuages de pluie sur ces îles. Mais, dès que la chaleur revient, il faut de nouveau craindre sa colère inextinguible qui peut durer des semaines entières, sans répit. Le Mage, avant d’emporter avec lui le secret de l’immersion de Meltem, regrettant son geste, a restreint le pouvoir de la source. De mémoire d’homme, la source de Pamukkale n’est plus que bénéfique et personne ne se doute du malheur qu’elle a pu engendrer il y a bien longtemps. Effectivement, beaucoup de personnes s’y plongent toujours en confiance pour guérir leurs maux.

Les grecs et les turcs, pour une fois d’accord, essayent bien, inutilement, de prier tous les Dieux, qu’ils soient anciens, récents, opposés, brouillés, pour que la vengeance de Meltem cesse enfin. Mais Eux seuls savent que sa colère n’est pas encore calmée et qu’ILS n’ont pas le pouvoir de l’assagir. Ce dont nous sommes intimement persuadés c’est qu’il se calmera le jour où la source blanche de Pamukkale se tarira naturellement. Alors la vengeance du fils de Yasmina et d’Éole sera accomplie, la forêt recouvrira les pentes arides des montagnes, les plaines désertiques laisseront pousser de riches plantes et le royaume de Poséidon sera de nouveau clément pour ses navires.

Mais, dire alors à quel moment cet événement se produira serait difficile… et même présomptueux !!!

Pierre et Martine

qui dédient cette libre interprétation à Georges Fotinos, leur historien ami.