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___ Radio Ponton___

Nuit blanche dans une baie d'Amorgos

(du 4 au 5 juin 2004)

Si vous avez cinq minutes, nous allons vous raconter comment une nuit très agitée peut l'être dans un mouillage idyllique.

Lors de notre visite de l'île d'Amorgos en voiture, nous avions été enthousiasmés par un îlot qui s'élève très près de la côte et forme une belle petite baie creusée de deux ou trois criques, bien protégées par les hautes montagnes de l'île et par l'îlot. Un paysage idyllique vu de la route. Nous avions choisi un de ces beaux mouillages, bien abrité du vent prévu, avec une longue amarre à terre pour calmer les ardeurs d'évitage du bateau et rester toujours face au clapot éventuel. J'avais assuré le mouillage avec près de 70 m de chaîne et le bout à terre empêchait qu'une renverse éventuelle de vent ne nous jette sur la côte. Par sécurité, je fais glisser notre gueuse de 12 Kg le long de la chaîne. Schéma classique. La journée se passe normalement bien que le petit vent venant d'en face (Sud Est) alors qu'il était prévu du Nord Ouest, lève un assez fort clapot. Mais les diverses météos ne nous promettaient rien de pire donc pas d'inquiétude. Brutalement, en fin de journée, le Sud Est s'est renforcé, et que le bateau, faisant toujours face aux bourrasques, recule vers la côte. Mais nous avions encore de la marge : 3,5m sous la quille avec 1,7 m de tirant d'eau. Vers 18h, un petit choc sous la quille et le bip d'alerte du sondeur nous fait vite bondir sur le pont. Il ne nous reste que quelques centimètres disponibles sous la quille. Moteur, pas le temps d'aller enlever l'amarre, il faut la couper et l'abandonner provisoirement. Le bateau se couche sous les rafales, reste en travers et refuse de prendre un cap rassurant, vers le large. Martine lutte met le moteur à fond et arc-boutée à la barre réussit à le redresser et l'éloigner tandis que je remonte la gueuse, les 7Om de chaîne et, enfin, l'ancre. C'est long 7Om !!! Qu'à cela ne tienne, nous allons mouiller un peu plus au large, un peu plus profond et tout devrait bien aller. Hé Non ! L'ancre refuse d'accrocher. À la tombée de la nuit, elle finit par riper de nouveau. Martine toujours à la barre, moi au guindeau, nouvelle remontée de gueuse et d'ancre, nouvelles angoisses pour conserver le bateau assez loin de la côte.

Avant que la nuit ne tombe complètement, nous décidons d'aller dans la crique voisine, plus vaste, nous laissant plus de possibilité d'évitage loin des rochers. Un joli deux mats est déjà à l'ancre. Nouveau mouillage. Cette fois-ci, ne pas mégotter : deux ancres empennelées pour passer une nuit tranquille. La tempête est de plus en plus violente. Au moins 40 noeuds et des vagues énormes. C'est là que le coup de fil de mon frère nous a donné un petit dérivatif. « Mais, au moins, vous assurez ? » m'a-t-il demandé. Mais oui que nous assurions ! Nous suivions l'évolution du bateau sur l'écran de l’ordinateur. Une marque sur la carte électronique pour fixer sa position actuelle et nous pouvions visualiser ses éventuels déplacements. "Qu'est-ce qu'il y a ce soir à la télé?" Un bon spectacle : Le bateau ripe lentement mais sûrement ! Ses deux ancres doivent labourer le fond sableux et nous assistons, un peu démunis, à son lent déplacement vers la côte. Le vent va peut-être tomber. L'ancre va bien rencontrer un rocher sympa qui va stopper son labour : Hé bien non! Les rafales ne cessent de nous agresser et de bousculer le bateau. Alarme du sondeur : 2,5m disponible. Vite! Moteur ! et Martine reprend sa lutte pour redresser le bateau qui se met de nouveau en travers et est drossé vers la côte. Je suis au guindeau et entreprend la lente manœuvre du relevage des 70m de chaîne et, cette fois-ci des deux ancres. Le guideau force mais tourne rond, son fusible tient. Une nouvelle tentative va tenir jusqu'à 3 heures nous permettant de bénéficier d'une heure de sommeil. Et, par chance, c'est le sifflement rageur d'une rafale plus violente qui nous réveille. Et, là nous retrouvons le bateau encore une fois près de s'échouer. Encore une tentative de mouillage, plus profond mais dans du rocher. Pas de labourage possible. Pauvre Basilic ! Nous nous rendons compte que les plantes sont couvertes par les embruns salés. A quatre heures du matin, entre deux manoeuvres de sauvetage, elles ont droit à une douche d'eau douce. Et la veille est sérieuse. Nous n'avons encore jamais vu une chaîne d’une telle longueur tendue comme une corde de piano. Le bateau ne lève même pas le nez lorsque les vague l'attaquent tant il est maintenu. Pourtant, ces assauts et leurs coups de boutoirs ont raison du crochetage des ancres. Et, pour ce mouillage et pour les deux autres qui suivront, nous avons nettement entendu le bruit sec et violent des ancres qui lâchent le rocher et ripent brutalement. Comme à son habitude, le bateau se met en travers du vent mais nous sommes assez éloignés pour effectuer les manoeuvres plus sereinement. L'autre voilier au mouillage est aussi en difficulté mais il n'a pas pu ou pas eu le temps de se redresser face aux vagues et au vent. Leur barreur n'a pas été aussi inspiré que Martine et il est maintenant plaqué contre la plage ou les rochers. Une ancre latérale a bien été placée pour limiter les dégâts mais nous voyons nettement les vagues s'écraser sur sa coque. Nous imaginons l'angoisse de l’équipage. Impossible d'aller les secourir, nous ne sommes pas manoeuvrants par ce temps là. Les lumières de leurs torches électriques nous rassurent. Ils ont abandonné leur bateau et sont sur la plage. Nous verrons demain. En attendant, nous cherchons désespérément une solution pour nous sortir de ce pétrin. Par chance, la loi de lemm... maximum n'a pas joué. Le moteur, la barre, le guindeau' tout a bien fonctionné. Le ciel s'éclaircit un peu, l'aube arrive et nous essayons d'aller de l'autre côté de la baie, à un demi mille de là. Un écueil signalé sur la carte électronique à contourner et nous sommes en face. Le vent rafale un peu moins et il n'y a pas de vagues. À la deuxième tentative, les ancres accrochent enfin. Le bateau est maintenant orienté vers le large. Un peu de repos ! Nous voudrions bien aller aider le bateau en difficulté mais la mer fume toujours dans leur secteur. Les cent mètres de bout à terre que nous avons abandonnés nous y attendent aussi. Nous voyons de loin que c'est un pêcheur grec qui va les sortir de leur piège puis les remorquer. Chapeau! Qui a dit que les grecs n'étaient pas serviables ? (en dehors des Coast Guard bien sur) ! Des amis voileux nous ont apporté des preuves malheureusement vérifiées qu'il ne faut surtout pas compter sur eux. En début d'après midi, la situation étant toujours aussi violente mais, toujours bien abrités, nous nous reposons un peu. Et, au lever de la sieste, nous nous rendons compte que, pendant cette petite heure, le vent a brutalement tourné mais plus sagement. Logos est de nouveau poussé vers la côte. Coup de chance, l'évitage était suffisant et nous sommes à une dizaine de mètres des rochers. Nous repartons alors en face pour récupérer l'amarre qui s'est répandue sur la petite plage et prendre un nouvel ancrage. 8 mouillages, 6 décrochages et 3 échouages évités de justesse, nous jouissons enfin d'une nuit calme.

Nomade de la mer ou autre touriste qui avez aimé Amorgos, cette île grandiose, sachez qu'elle est d'une traîtrise insoupçonnable. Sa haute altitude attire, bloque les nuages et les vents se font un malin plaisir à se déchaîner de manière imprévisible sur toute sa côte.

PS: Nous avons appris par la suite que ce mauvais temps non prévu a été désagréable pour d'autres voiliers, dans d'autres secteurs.

Depuis, notre ancre a été bien relookée: voir page spéciale