Dernière mise à jour : 2002

___ Radio Ponton___

FORCE 10 au milieu de la Méditerranée, génois bloqué.

 

Les conditions :

Bateau Sun Légende 41 ; 12m30; année : 1986
À bord deux personnes qui partent pour un tour de Méditerranée. Bateau chargé.
Navigation assistée par ordinateur couplé au GPS
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Départ pour le tour de Méditerranée, le 22 mars 2002 de Mahon, Minorque, Baléares.


Météo annoncée : fin de tramontane. Situation idéale pour partir avec un bon vent portant, ce qui fut le cas la première journée. Au début de la nuit, solution sage, rentrer la GV et ne conserver que le génois... Sage précaution. Vers 1 heure du matin, le vent se renforce. Il est prudent de rentrer au peu de génois. Et là... Manoeuvre impossible. Le génois refuse de s'enrouler. Il faut attendre le jour pour avoir une explication.

Le soleil se levant, la situation est la suivante : il est toujours impossible d’actionner l’enrouleur de génois, une drisse de spi s’est malencontreusement enroulée autour de la tête du génois. La patte où se fixe la poulie est légèrement affaissée, ce qui occasionne le frottement de la drisse contre le haut du génois. 2 solutions : monter au mât, ce qui est exclu ou affaler le génois, ce qui est aussi exclu vu la puissance du vent (le génois partirait devant le bateau et il nous serait impossible de le remonter à bord).

Vers 6 heures du matin, les choses commencent à s’envenimer. 25, 30, 35 Nœuds. Le génois est entièrement sorti à peine bordé pour limiter ses appuis au vent.
Le vent commence à siffler dans les haubans. La mer, déjà très formée, enfle démesurément. Il n’y plus d’horizon. Le pilote fait son travail jusqu’à ce que les batteries s’effondrent. Les efforts réclamés au moteur du pilote consomment trop d’énergie. Le bateau n’est pas très bien équilibré, trop tiré par l’avant. L’arrière se laisse déporter par les vagues. Il faut mettre le moteur en route pour alimenter les batteries et compenser les écarts de route. Un comble que de mettre le moteur par ce vent. A 7 heures, la mer grossit encore. Ce n’est pas raisonnable de poursuivre sur La Galite (encore 160 milles à faire). Il n’y en a « que » 8OMN si nous optons pour la Sardaigne. Nous nous déroutons en sachant qu’il faudra tenir au moins 12 heures dans cet enfer bleu et blanc.

Nous sommes un peu plus de travers à la vague. Le pilote ne tiendra pas. Je prends la barre et le combat commence. Cap au 80°. Dire que la théorie voudrait que nous affalions tout et que nous partions en fuite. Mais avec un génois bloqué, tout déployé, c’est une autre affaire. La seule chose qui puisse être tentée est de lâcher de l’écoute pour que l’appui du vent soit minimal sur la toile. Le bateau roule bord sur bord et prend vite des angles interdits. Lorsqu’il remonte vers 60°, il fasseye dangereusement et lorsqu’il aborde les 150°, il empanne et passe sur l’autre bord. C’est quasi impossible d’effectuer la manœuvre spécifique d'empannage, il y a trop de toile déployée. Vague après vague, il faut essayer de maintenir un angle moyen de 80 à 90°. Quiconque a barré un jour en cherchant à conserver un cap donné comprend combien la situation est difficile quand les déferlantes bousculent le bateau.

Nous sommes sans cesse déportés, frêle esquif ballotté sur les flots. Jusqu’à quelle violence irons-nous ? Jusqu’à quelle force pourrons nous résister ?

Logos, courageusement s’enfonce dans des murs d’eau, les éclate avant de se retrouver menacé sur son arrière bâbord. Il est très ardent. Il faut s’arc-bouter sur la barre à roue. Par moment, corriger la trajectoire à la seule force des bras est une entreprise démesurée. La solution de se jeter sur l’autre bord en tirant sur cette roue avec l’énergie de l’espoir provoque l’inquiétude d’une rupture de safran. Mais les commandes paraissent solides, elles résistent aux efforts contrariés des vagues et du barreur. Et quel soulagement lorsque le bateau reprend sa trajectoire, juste avant d’être attaqué par une autre lame. Sans qu’on puisse profiter de ce moment de repos, le bateau repart dans un surf effréné et plonge au fond du gouffre bleu avant de repartir sur l’autre travers. Une seconde de trop et le cap des 150°est franchi. Le génois passe de l’autre côté. Grand coup d’accélérateur ! 3000 tours ! Une épaisse fumée bleue s’échappe du pot d’échappement. Le bateau s’est tellement couché que les cylindres se sont chargés d’huile. Mais le voilier redresse sa course. Le génois passe de l’autre côté dans un bruit énorme, le claquement d’une grenade. Une interrogation lancinante occupe l'esprit : jusqu’à quand le matériel va-t-il résister ? Quel événement plus puissant, plus imprévisible va provoquer une casse dramatique ?

Les mains commencent à s’user sur le grip de la barre. Seulement trois heures que la lutte a commencé ! Combien en reste-t-il avant que nous puissions respirer, nous sentir rassurés ? Puis, vite, après avoir échangé un mot, un regard, la principale obsession nous refixe sur cette fourchette cruciale à ne pas dépasser: 60° / 150°. Toujours cet oeil qui ne quitte le compas que pour évaluer la difficulté présentée par la future lame qui enfle démesurément sur l’arrière avant de nous rejoindre à une folle vitesse. Le bateau monte, monte, se cabre, se couche, veut se mettre de travers et, heureusement contrarié, plonge dans le gouffre bleu pour partir en surf. La mer fume de plus en plus. L’anémomètre monte encore 40, 45 nœuds. Comme le vent nous pousse, il faut y ajouter la vitesse du bateau (8 nœuds au loch) soit plus de 50 nœuds : au moins 90 Km/h). Le génois résiste encore. Un cargo arrive de tribord et croise notre route. Nous imaginons l’équipage aux hublots qui regarde Logos ballotté qui doit se faufiler dans ces montagnes d’eau. Ils nous appellent peut-être à la VHF. Si ça doit casser, c’est maintenant… Et le cargo disparaît très vite à l’horizon. 52 nœuds réels, un force 10 bien établi. Le moteur fait ce qu’il peut pour nous stabiliser mais c’est maintenant mission presque impossible. Il faut abattre un peu et nous écarter du Sud Sardaigne, de l’abri espéré. Peut-être que, même trop bas, sous la protection éloignée de l’île, le vent sera plus clément. Nous en sommes encore loin : 50, 60 milles. Et il n’est que midi. Seule image remarquable dans cet enfer, une bande de dauphins nous escorte. Ils semblent s'inquiéter pour nous et nous montrer le cap à suivre. C'est ce que nous voulons bien intérpréter pour nous réconforter. Je renonce à descendre... jusqu’à ce moment terrible où le bateau remonte trop vers 60° et ne peut plus redresser sa course à temps. Il est de travers sur la plus haute vague et la survague, portée par sa lame, une muraille blanche ressemblant à celles qu’affectionnent les surfeurs, s’abat sur toute la longueur du bateau. Sous la puissance de l’élément, Logos s'enfonce et se couche, Martine tombe à genoux, submergée par l’eau bouillonnante. Le cockpit est une baignoire. Il recueille toute cette redoutable épaisseur d’eau qui s’écoule sur le pont. Le bateau se redresse très vite mais l’eau semble mettre un temps infini pour s’écouler par les « vide-vite ». Et dire que j’aime plonger et jouer dans les grosses vagues de l’Atlantique !!! Nous n’avons même pas le temps de récupérer qu’il faut éviter la déferlante suivante et encore la suivante. Tant pis, j'abats encore et nous essayons le pilote. Sous cet angle, très défavorable pour notre direction, les louvoyages contrôlés par l’appareil nous permettent d’éviter les 150° de plus en plus dangereux. Il nous permet un temps récupérer de nos émotions et d’aller constater l’ampleur des dégâts en bas. Le capot était bien fermé mais nous n’avions pas pu fermer l’ouverture de la descente afin d’y accéder facilement pour faire le point. Le sol est jonché d’affaires diverses. Il ne semble pas y avoir eu trop d’eau en bas. Mais on ne regarde jamais tout de suite ce qu’on craint. Le regard finit tout de même bien par tomber sur la table à carte et, il faut se rendre à l’évidence, la vague a rebondi sur une marche, a balayé la table et atteint l’électronique. L’écran du GPS est gris, éteint. Par chance, il veut bien se rallumer et indiquer de nouveau notre position. L’ordinateur est trempé. L’écran dégouline d’eau de mer. Nous avions bien emmitouflé le clavier de film alimentaire et d’adhésif. Pourtant il semble qu’il y ait eu des infiltrations. Séchage rapide, rangement du bien précieux, bien étalé sur une couchette et on verra plus tard. Il faut remonter, Martine est seule dans les éléments déchaînés.

Pour le moment, le bateau et son équipage résistent. Le vent ne faiblit pas et il faut redoubler d’attention. Nouvel empannage violent, nouveau coup d’accélérateur, même panache de fumée bleue et un nouveau claquement infernal du génois. Pas une couture ne lâche, pas une fibre ne se rompt. À l’estime, nous devons être trop bas mais pas question de sortir les cartes et l’ordinateur ne peut plus nous renseigner d’un rapide coup d’œil. Il faut attendre 14h pour que le vent redescende autour de 40 nœuds réels. Nous essayons d’en profiter pour remonter un peu.

Le bateau tient les 100°, en travers et l’inconfort reprend. Mais, progressivement le vent perd de sa violence : 35 Nœuds. Nous pouvons border un peu et remonter encore. Les vagues sont maintenant plein travers. Le bateau et l’équipage acceptent encore ces contraintes. Il est maintenant possible de sortir une carte papier et de faire un point traditionnel. Un regard inquiet vers l’ordinateur au séchage. Si une seule goutte a touché un élément, il sera bon pour le musée des ordinateurs noyés. Heureusement que le GPS ne donne plus de signe de faiblesse et s’est bien remis de son apnée. Nous sommes effectivement un peu trop bas mais la navigation à l'estime, dans ces conditions, n'a pas été trop mauvaise. Il faut remonter vers le Nord, vers 50°. Il est 16 heures et il reste encore plus de 30 milles à parcourir. La mer est toujours aussi grosse mais avec beaucoup moins de déferlantes. L’attention ne doit pas baisser. 19 heures. Le vent est tombé d’un coup. Il n’y a pas de temps à perdre, il faut rentrer le génois. Il refuse toujours de s’enrouler. Nous l’affalons dans les embardées du bateau. Il prend un peu l’eau, une vague le recouvre mais nous arrivons à vider la poche, le monter à bord et l’attacher sur le pont. Nous devrions distinguer la côte, mais une brume nous empêche de la voir. Nous nous approchons tout de même et cherchons un abri. Ce n’est que vers 3 heures que, à la lueur d’une petite lune, nous trouvons un mouillage correct pour la nuit.

Ce résumé de cette tempête que nous avons subie montre combien le matériel est important dans la gestion d’un coup de vent de cet ordre. À la réflexion, il est certain que c’est notre vitesse du bateau qui nous a sauvé et permis d’esquiver les vagues. Sans un gréement qui a pu supporter ces énormes contraintes et un génois aussi résistant non seulement à la puissance du vent mais aussi aux 4 ou 5 empannages d’une violence extrême sans possibilité de ralentir le passage de la voile sur l’autre bord, nous n’aurions jamais pu esquiver autant de déferlantes. Pour terminer, nous ne pouvons que nous louer de la résistance de cette toile, de ses coutures et de l'équipage, principalement de la coéquipière.