Mise à jour : 2015
___ Les carnets de bord de Martine___

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Carnet de bord 2003

DE GÖÇEK À ISTANBUL (via Marmaris)

Cinquième partie



Le samedi 6 septembre Göcek (en marina)

« Hep taxi !!! »

C’est au volant d’un véhicule assez inhabituel que nous quittons Göcek, puisque c’est un beau taxi tout jaune qui nous est proposé à la location … par le barbier du village…

Voici donc Pierre transformé en chauffeur de taxi… peu zélé puisqu’en chemin nous avons feint d’ignorer les mains qui se levaient pour nous arrêter. Une très belle route de montagne bordée de hauts pins nous permet de quitter Göcek en nous offrant des panoramas superbes sur une large vallée alluvionnaire, maintenant maraîchère, et nous mène à Fethiye. Cette importante station touristique s’enorgueillit de la présence d’impressionnants tombeaux lyciens, véritables temples creusés dans l’abrupt de la falaise. Cent cinquante marches construites récemment nous mènent au plus célèbre d’entre eux, le tombeau d’Amyntas. Je nous imagine mal grimpant à l’aide de cordes « artisanales » comme ont dû le faire les artisans lyciens avant de se suspendre pour tailler et sculpter la roche. Après une telle ascension, une promenade dans les ruelles ombragées de pergolas verdoyantes a été la bienvenue. De jolies maisons ottomanes blanches aux fenêtres cernées de linteaux de bois sombre ont été reconverties en commerces artisanaux avec beaucoup d’élégance. Rien à voir avec Rhodes.

Puis, à quelques kilomètres de là, dans un paysage assez désertique, le « taxi » nous arrête à Kaya Coy, un vaste bourg abandonné par les grecs en 1923 lors des échanges de population entre Grèce et Turquie, au moment où la Grèce a été réunifiée. Des frontons de pierre sans âme se dressent tels des squelettes à flanc de collines. Les grecs ont-ils tout brûlé avant de quitter ce lieu ? Le temps a-t-il eu raison de ces grands bâtiments et de cette vaste église maintenant ouverts vers le ciel. Quelques pans de murs sont encore chaulés de bleu ou de rouille (N.D.L.R. : Nous qui sommes habitués aux ruines antiques, nous en visitons de plus « actuelles » et vivons le temps d’un instant le premier épisode d’une « ruinification » !!!). Quelques artisans se sont installés au bas du chemin qui monte dans le village, profitant ainsi de la curiosité touristique. Nous apprécions les « Saç Boregi » (crêpes au fromage) cuites dans un vieux four et le thé turc d’un petit estaminet.

Et puis, à nouveau, des pins à perte de vue… immense forêt dominée par le « Baba Dagi », haute montagne de plus de 2000m dont les sommets caillouteux semblent couverts de neige… ce qui est une réalité en hiver.
Un long chemin cahotant que peu de touristes empruntent nous élève dans la montagne couverte d’un maquis de plantes aromatiques (dont nous faisons une belle provision en ce qui concerne l’origan) et d’oliviers sauvages ; certains, vieux de plus de 3000 ans, ont remplacé les pins.

De loin, à part quelques trous visibles dans une falaise haute de 500 m, pas de trace de site… et pourtant un gardien et ses amis nous accueillent … Tu parles, ils ont si peu de visites qu’ils suivaient notre progression sur la piste à la jumelle… C’est énervant de ne pas se rendre compte que l’on est épié !!! (N.D.L.R. : pas de chance pour les épieurs, Martine n’avait pas réclamé un arrêt pipi !). Et, là, commence une visite à guide imposé mais indispensable et une ascension à nous en laisser béats. Dans un dédale de rocs, d’arbres, de sources, habilement guidés, nous escaladons une haute falaise à la découverte de la nécropole lycienne : temples, maisons simples, excavations, le tout creusé et sculpté à même le rocher, sans aucun raccord ni rajout. Et, parvenus au sommet, nous découvrons - outre une vue plus rapprochée sur l’à-pic de 500 mètres aux centaines de tombes troglodytes - les ruines d’une véritable cité … romaine : rue commerçante, agora, bains, bouleutérion, maisons… complètement invisibles à moins d’être dessus. Protection contre les ennemis, communication avec les autres cités, proximité du Dieu Soleil… ? Autant de questions qui resteront peut-être sans réponses formelles. Et, plus loin dans le panorama, les vestiges encore très bien conservés d’un vaste théâtre. Une visite un peu magique terminée par un thé turc offert par notre guide. Un grand moment qui nous a fait paraître le site suivant, Xanthos pourtant très renommé et classé au Patrimoine de l’Unesco, moins spectaculaire.

Cette ville, autrefois au bord de la mer, domine l’estuaire de la rivière Xanthos, aujourd’hui vaste plaine alluviale très fertile, domaine de riches maraîchers dont les immenses serres recouvrent le sol. Cette situation privilégiée a autrefois attiré lyciens, romains et byzantins… et les « archéologues ». Le site a été découvert par un anglais au XIX siècle. Il a été peu à peu mis à nu par une équipe d’archéologues français apparemment beaucoup plus philanthropes que les anglais. Ne cherchez pas le sarcophage ou le bas relief des Harpies au Louvre, ils sont au British Museum avec un de ses fleurons « emprunté » aussi à Xanthos, le célèbre tombeau des Néréides en forme de temple. Donc un site certes riche mais dont on peut déplorer l’absence de certaines pièces maîtresses. De très belles mosaïques sont cachées sous une couche de sable pour empêcher, cette fois-ci, le pillage par les touristes. Bêtise humaine !!!

Il commence à se faire tard mais, sur le chemin du retour, nous ne résistons pas à l’envie d’un détour vers un site naturel, un impressionnant canyon dont les parois laissent échapper plusieurs sources bouillonnantes. Elles se rejoignent en un vigoureux torrent qui court sous une passerelle métallique. Ce site touristique avec canyoning, rafting est habilement présenté avec un grand nombre de restaurants élevés sur pilotis au-dessus des eaux. L’ensemble dégage beaucoup de charme.

À retenir pour nos visiteurs prochains. Un retour nocturne. Pierre rend sa licence de chauffeur de taxi (N.D.L.R : mais espère rester le chauffeur préféré de Madame !)

Dimanche 7 septembre 2003 Götcek (en marina)

« Que la lumière soit !!! »

 

Une journée de repos. Quelques achats en ville : chacun notre « flotteur », ces boudins de polystyrène de couleur qui ont fait fureur cet été sur les côtes turques, une nasse verte pour tenter d’enrichir nos techniques de pêche et d’accroître nos chances d’améliorer notre ordinaire. Logos n’est pas oublié, il arbore maintenant fièrement une belle lampe marine de cuivre jaune, faite à la main en Turquie et numérotée. Après un petit bricolage qui n’altère en rien la lampe celle-ci est devenue mixte, pétrole ou douze Volts.
Notre grand courage nous a lâché… tentation d’aller plus loin pour continuer nos découvertes mais n’avons nous pas les yeux déjà bien pleins ? Peut-être aussi un pré endormissement de septembre qui, même ici, avec la brume qui masque les sommets, annonce qu’une saison va se terminer. Deux jours de grand vent et l’eau est passée de 30° à 27°C. Brrr !!!
Même ces magnifiques caïques semblent moins nombreux et plus dolents. Chacun flâne pour profiter paisiblement de cette fin de saison. Alors, nous aussi… Descendre plus bas serait peut-être récupérer un vent contraire pour remonter… et puis ce golfe est tellement riche en mouillages superbes, hors du commun. Autant en profiter.




Du lundi 8 septembre 2003 au mardi 16 septembre : le Golfe de Götcek

« De nouveau dans le bleu du golfe pour flâner »

C’est avec un grand plaisir que nous retrouvons ce golfe si riche en mouillages, tous plus magiques les uns que les autres, en nous efforçant de visiter les criques repérées mais pas encore expérimentées.

Près d’Ortisim

Une très belle crique, bordée de beaux roseaux mais malheureusement agrémentée de moustiques au coucher du soleil. Dommage ! Toujours pas d’oursins. Même notre filet est désespérément vide. Un petit coup de vent est annoncé mais, dans ce petit paradis, il est si atténué que même les voiles restent sagement rangées.


Baie du Tombeau

Toujours aussi belle ! Nous choisissons un mouillage qui nous donne un nouveau point de vue. Nous retrouvons la petite vie artisanale organisée par les locaux et, en priorité notre miche de pain toute chaude, juste sortie du four traditionnel… livrée au bateau par ce couple adorable et leur petit garçon. Nous craquons aussi pour des « Saç Börigi » respectivement au fromage et à la pomme de terre. Le bateau de pêcheur nous propose de grosses crevettes qui font merveille au barbecue, préalablement arrosées de Pastis. Elles seront accompagnées de ce merveilleux pain frais. Monsieur « Ice Ceam » n’a pas nos faveurs - ni le marchand de fringues ou le Parasailing (parachute ascensionnel). Un service très confortable : les éboueurs passent régulièrement vider les containers par ailleurs assez esthétiques, disséminés dans les criques les plus fréquentées. Ils ne refusent pas non plus de venir récupérer vos ordures « à domicile ».

Deep Bay

Tout aussi profonde que les autres, 100 mètres de fond à quelques brasses de la côte. Il nous faut bien calculer notre coup pour pouvoir jeter notre mouillage à moins de 30 mètres de fond puis reculer jusqu’à la côte pour, rapidement, attacher le bateau à quelques arbres ou rochers bienveillants. Cette baie est grandiose. Même les oursins sont au rendez vous.



Sarsala Isklesi

« Un ancrage pour nous seuls, au Sud»

Et, avant de quitter ce site magnifique, l’Anse du Ravin repérée lors de notre entrée dans le golfe. Un seul bateau peut mouiller dans cette vertigineuse échancrure. Aujourd’hui, c’est Logos qui a grillé la place à « Marop », un « dynamique 62 » de Vienne déjà rencontré en Grèce, à Lera Lipso… Même voyage, même préoccupation : jouir de mouillages hors du commun.

Notre isolement sera de courte durée car la météo annonce une période peu clémente, ce que semble confirmer le vent qui agite la surface de l’eau. Nous décidons d’avancer notre remontée quitte à flâner un peu dans la baie de Marmaris.


Mercredi 17 septembre 2003 Remontée vers le Golfe de Marmaris

« Gégène fait encore des siennes »

Un départ très matinal dans l’espoir de faire la plus grande partie de la remontée avant le réveil de Mr Meltem. Ce golfe encore endormi dans la brume du petit matin est un spectacle féerique, et nous imaginons déjà une paisible navigation. La canne à pêche est brandie, gare !! Une jolie petite bonite ne tarde pas à succomber au charme de notre Rapala. Nous en oublierions presque que notre turbulent Meltem s’est levé de bon matin, sans doute bien décidé à faire le voyage avec nous. Très vite il nous parait plus sage de réduire la surface du génois pour ne pas être surpris par une éventuelle survente.

Désagréable surprise, pour la première fois cette année, Gégène refuse de s’enrouler, bloqué en tête de mât… impossible de l’affaler. Une fois de plus il faut faire face et espérer un abri qui permette à Pierre de jeter l’ancre pour arrêter Logos dans sa course puis de monter en tête de mât pour défaire la drisse indélicate.

Nous nous déroutons vers la côte. Les abords d’une longue plage - la seule où les fonds permettent un mouillage à la volée - nous semblent propices. L’ancre croche brutalement. Vite en haut du mât. Le génois tombe. Nous aviserons plus tard, l’important est maintenant de gagner l’abri de la baie de Marmaris propulsés par le moteur. 35 milles le vent dans le nez et une grande lassitude lorsque nous abordons la baie de Marmaris, ce qui nous fait opter pour un corps mort offert par l’un des accueillants restaurants qui bordent la baie d’Ildiz. C’est donc l’esprit tranquille que nous dégustons à terre un agréable repas. Le vent souffle toujours mais nous sommes bien attachés et apprécions le repos de la nuit.

Jeudi 18 septembre 2003 de Kumlubuk cove à Yldiz Adasi

« Mieux vaut un corps vivant qu’un corps mort »

Pas de temps à perdre, il faut mettre au clair la tête de mât et supprimer la cause de cet imbroglio. Même l’appareil photo numérique - un auxiliaire toujours très précieux - se retrouve perché à 12 mètres … tout aussi impressionnant pour celle qui, en bas, veille à la sécurité !!! Après cet exercice matinal, une pause dans le carré est la bienvenue ! Tiens, c’est étrange , « Marlin Blue », voilier de 18 mètres pourtant amarré à une bouée voisine, s’éloigne de nous. Un coup d’œil de Pierre… ce n’est pas Marlin qui s’en va, c’est bien Logos qui, bouée toujours attachée au museau, au gré des rafales se trouve poussé vers la plage et les pieux du ponton du restaurant.

Heureusement, à quelques mètres de la zone dangereuse, le moteur nous en éloigne. La relativité existe, nous l’avons rencontrée. Le restaurateur alerté récupère la bouée. (NDLR : C’est la chaîne qui, à force de frotter contre le socle en béton s’est usée et a fini par se rompre par chance en plein jour et sous l’œil toujours attentif de Martine). Nous préférons quitter ces lieux peu hospitaliers pour nous approcher de Yacht Marine.

Une petite baie paisible toute proche de la Marina retarde le moment de l’hivernage ; peu éloigné de Marmaris c’est un mouillage très prisé par les caïques pour la journée ou pour une nuit. Sur la rive, des bâtiments à l’abandon, ruines d’anciens restaurants, laissent à penser que ce site a dû être très fréquenté. Pour notre plaisir aujourd’hui de magnifiques vaches ont remplacé les touristes chassés par une réglementation visant à protéger certains sites. Qui s’en plaindrait !

Vendredi 19 - samedi 20 septembre. Yldiz Adasi

« Un dernier plouf »

Dernières baignades de la saison, une tentative de pêche à la nasse. Rien…, pas le moindre poisson !! Nous nous contenterons d’un élégant chapeau de paille sans doute échappé d’un caïque et conduit par le vent jusqu’à Logos.

C’est Julot qui va être fier avec ce nouveau couvre-chef (NDLR : pourtant bien porté par Martine).

 


Dimanche 21 - jeudi 25 septembre Yacht Marine

« Une maison de retraite grand luxe »

Si, lors de notre première visite, nous avions été dirigés vers le ponton « visiteurs », juste à l’entrée de la Marina, nous voici maintenant amarrés au ponton des familiers, un ponton bien sympathique où, rapidement, les langues se délient, les échanges se font : expériences techniques, astuces… En fait, en cette fin de saison, mis à part Jean-Luc de « Lucky Jo » nous faisons tous partie du clan des retraités sur mer. De nouveaux visages nous sourient : Judy, Ilan, Alain, de vieilles connaissances nous saluent, même Larry déjà croisé à Çesme est là et fait « vrombir » sa trottinette électrique. Julot est aussi de la fête et semble apprécier cette vie « conviviale ». Cette ambiance bon enfant font paraître moins pénibles toutes ces formalités nécessaires au long hivernage d’un voilier. Le facétieux génois est confié à la Marina pour recevoir une belle bande anti-UV, le dinghy aura lui aussi une housse et pourra frimer derrière Logos qui, lui, arborera un superbe bimini marine la saison prochaine.

Logos est hissé hors de l’eau avec tout le respect dû à ce beau monsieur. Fait unique, un plongeur veille à ce que les courroies de levage ne l’endommagent pas, tout ceci sous l’œil d’un caméraman. Fichtre ! cela va lui monter à la tête.
Deux jours à vivre perchés à quatre mètres du sol, des sacs qui se remplissent ; un au revoir chaleureux à cette équipe dynamique, au savoir faire incomparable à laquelle nous confions notre voilier. C’est le moment de gagner la gare routière de Marmaris conduits par Alain « The Maid of Orloch » pour y prendre le car de nuit à destination d’Istanbul.



Jeudi 25 septembre 2003 au soir - vendredi 26 septembre au matin de Marmaris à Istanbul

« 15 heures en car »

Il est 18h30 lorsque le car de nuit affrété par la Compagnie Pamukkale se met en route rempli de passagers turcs. Un superbe Mercedes tout neuf. Occupant les premières places, le très beau paysage entre Marmaris et Izmir s’offre à nos yeux puis la nuit s’épaissit et commence cet étrange voyage qui nous fait découvrir une animation insoupçonnée. Elle n’est pas sans rappeler cette vie nocturne des voyages en train de nuit. Les stations de chemins de fer sont remplacées par de vastes gares routières où se retrouvent des cars de toute provenance pour des destinations variées. Des gens s’agitent à la recherche de leur correspondance, d’autres se restaurent sous les appels des hauts parleurs (heureusement que nous avions pris un car direct, avec le peu de turc que nous avons à notre disposition il eut été difficile, dans ce contexte, bien loin du tourisme, de nous faire comprendre). Un court somme entre deux arrêts et, à nouveau, cette vie fourmillante qui fait d’un banal voyage une aventure. Le jour s’est levé lorsque notre car prend place dans le ferry pour traverser la mer de Marmara.

Nous voici parvenus à notre destination et, déjà, Istanbul s’empare de nous avec son atmosphère indéfinissable mais qui, immédiatement, fait appel à notre imaginaire en nous transportant dans un monde entre Orient et Occident.

Vendredi 26 septembre ….mercredi 1er octobre 2003 ISTANBUL

« A nous deux Istanbul...! »

Quelques moments de repos dans un petit hôtel de Sultanahmet indiqué par le Guide du Routard « Buhara Otel », un très bon choix que nous pouvons à notre tour recommander tant pour la qualité de l’accueil familial offert, que pour la vue superbe sur le Bosphore et la Mosquée Bleue dont on bénéficie durant le petit déjeuner (fort copieux).

Une bonne douche et nous voici prêts à devenir « stambouliotes »pour 5 longs jours en vivant au rythme de cette ville au passé prestigieux, charnière entre l’Orient et l’Occident, l’Europe et l’Asie, intimement liée à cette mer qui vous invite constamment au voyage.

Nous sommes au cœur historique d’Istanbul, là où les civilisations se sont croisées, dans cette péninsule comme protégée des attaques de la modernité par les eaux de la Corne d’Or et du Bosphore. Byzance s’est effacée devant Constantinople qui elle-même s’est fondue dans « Stamboul »depuis le 15e siècle.

Les appels des Muezzins, ces lancinantes mélopées qui dès le lever du jour déchirent le silence de la nuit ont remplacé les carillons des cloches de la Chrétienté, de fins minarets se sont dressés vers le ciel.



De la rayonnante « Nouvelle Rome »aux 7 collines, fleuron de l’Empereur Constantin 1er il ne reste que peu de choses rencontrées au hasard de nos premières flâneries :

- Une vaste place sans grand charme maintenant dite de « l’Hippodrome ». Deux obélisques s’y dressent, l’un « muré », l’autre tronqué pour faciliter son transport depuis l’Egypte ; à proximité, la colonne « Serpentine ». Ne cherchez pas les serpents, l’un est au British Muséum, l’autre au musée archéologique d’Istanbul.

Nous sommes loin de cet hippodrome grandiose de Constantin dont les chevaux si célèbres, fierté de sa loge ont vu bien « du pays » : de Delphes à Rome puis Constantinople, pour partir à Venise avec les Croisés, caracoler à Paris sous Napoléon, être finalement restitués à Venise et emprisonnés dans la Basilique St Marc pour cause de pollution extérieure.

- Une impressionnante « Citerne Basilique », belle cathédrale qui se mire dans l’eau, 10000m2, 366 colonnes, certaines empruntées à des sites archéologiques célèbres - dont celles provenant de Didyme ornées de têtes de Méduse. Simple réserve d’eau alimentée par l’Aqueduc de Valens pour préserver la ville antique. Le silence, des jeux de lumière lui donne maintenant une atmosphère féerique.

- Les « Murailles de Théodose » ceinturaient l’ancienne cité pour tenter de la protéger contre les attaques ottomanes. Les murs et les tours encore debout sont classés au Patrimoine de l’Humanité comme si l’Occident voulait rendre hommage à une longue et vaillante résistance.

 

Mais pour se replonger dans cette époque où Constantinople, évinçant Rome, faisait rayonner la Chrétienté jusqu’aux portes de l’Orient, une longue visite au Musée Archéologique s’impose. Alexandre y voisine avec Sidon et Halicarnasse…

- Des églises transformées en mosquées puis en musées. La plus célèbre d’entre elles est « Sainte Sophie » témoin de cet effacement de l’Occident devant l’Orient. « Sainte Sophie », en fait « Eglise de la Sagesse », qui pendant 10 siècles a été le plus grand monument religieux de la Chrétienté, toujours enviée, jamais égalée : 6 ans de travaux, 10 000 ouvriers, les plus beaux matériaux pris en Europe et en Asie. Ephèse, Athènes, Delphes n’ont-ils pas fourni nombre de piliers ? Rien ne fut trop beau pour l’Empereur Justinien, inspiré par un ange. Il n’est donc pas surprenant que « la Basilique d’Or », appellation donnée sans doute pour la richesse des mosaïques qui l’ornaient, ait suscité l’envie des Sultans.

Si certaines mosaïques ont disparu sous le badigeon des iconoclastes, celles représentant Marie entre le Christ et St. Jean ont été préservées. « Ste Sophie » a sans doute perdu son âme, surtout depuis sa mutation en musée sous la république, mais elle dresse encore avec fierté sons imposante stature de briques, surmontée d’une vaste coupole grise encadrée par quatre fins minarets marquant ainsi le passage de l’époque byzantine à la période ottomane. Les Sultans ont remplacé les Empereurs. « Stamboul » avec ses mosquées, ses bazars est née.

- La Mosquée Bleue élançant vers les cieux ses 6 minarets s’offre à nous. Commande du Sultan Ahmet 1er au disciple de l’architecte Sinan pour surpasser St Sophie, elle allie grâce, légèreté et élégance. Après nous être soumis aux obligations d’usage c'est-à-dire pieds déchaussés et tête couverte pour moi, nous pénétrons dans ce vaste édifice. Proportions, lumière, couleur bleue des faïences d’Iznir donnent une idée de la perfection. Nous prolongerons l’enchantement que procure cette visite par un spectacle son et lumière retraçant le cheminement de cette mosquée.

- La Mosquée de Soliman le Magnifique, « Suleymaniye », véritable centre de vie construit par le Maître lui-même, l’architecte le plus renommé d’Istanbul : Mimar Sinan sur les ordres de Soliman. Mosquée, hôpital, écoles, magasins, rien ne manquait mais il semble difficile aujourd’hui, malgré l’animation qui règne dans ce quartier proche de l’Université, d’imaginer le foisonnement de vie y régnant.

Une fois de plus, à l’intérieur, lumière, simplicité et pureté concourent à l’élévation de l’esprit. Pas de carreaux de faïences, mais de superbes colonnes de porphyre d’Alexandrie. Soliman et son épouse favorite Roxelane reposent tout près.

- Topkapi, siège de l’Empire ottoman pendant 4 siècles, commandé par Mehmet II, « le conquérant ». Vaste ensemble de 700 000m2, constamment enrichi par les successeurs d’Ahmet, suite de grands bâtiments, de jardins intérieurs, de pavillons, de fontaines. Le harem s’offre à nous, superbe dédale où vivait le Sultan avec les femmes dont la toute puissante reine mère « la Valide », et les princes héritiers, servis par ces malheureux eunuques, le Sultan ne tolérant aucun rival !!! Puis les cuisines destinées à alimenter les 5000 résidents permanents auxquels se joignaient les multiples visiteurs invités du Sultan.

Une très belle exposition de porcelaines chinoises - dont des céladons - a remplacé les 200 moutons, agneaux, veaux, poulets nécessaires journellement à nourrir tout ce beau monde. Et, surtout, ces salles présentant le si célèbre « Trésor ». Une débauche de pierres précieuses ornant turbans, colliers et vêtements de cérémonies, essentiellement des émeraudes et des diamants dont le célèbre « Kasikci », diamant de 86 carats. Les reliques du prophète Mahomet ont aussi pris place dans ce vaste complexe.

Ce voyage dans l’époque ottomane ne pouvait que mener nos pas vers le Grand Bazar où passé et présent sont intimement mêlés. Certes les incendies ont eu raison des anciens caravansérails, lieux d’étapes pour les caravanes de marchands venus d’Asie, mais cette ville close reconstruite au 19e siècle, fermée la nuit par de lourdes portes, vibre du souffle du commerce qui s’y fait toujours : 4000 échoppes, 20 000 m2, un festival de couleurs, de parfums, de sons. Etoffes, cuirs, or, épices forment un tableau chatoyant. Certaines ruelles pourraient rappeler le quartier du Sentier à Paris mais avec, en plus, ce pittoresque propre aux souks.

Il en est de même pour le Bazar Egyptien, si riche en épices où parfums et couleurs se répondent. Nous avons pu en saisir toute l’ambiance de la fenêtre de la petite gargote qui domine la rue principale.

Avant d’aborder la « ville nouvelle », il nous faut compéter notre visite de la presqu’île de Saraÿburnu et suivre Pierre Loti « Piyerloti » dans son fief d’Eyüp.


Un taxi jaune, de ceux qui pour un prix modique sillonnent Istanbul et vous permettent de rejoindre rapidement votre destination nous y mène, avec un arrêt à « St Sauveur in Chora », une magnifique petite église de briques transformée en mosquée puis en musée. De somptueuses mosaïques et fresques relatant l’Histoire Sainte l’ornent; un trésor dont nous pouvons jouir aujourd’hui grâce au badigeon qui les recouvrait.Une atmosphère de village nous incite à effectuer une pause dans un restaurant dont la terrasse donne sur cette église.

Peu à peu le quartier d’Eyüp s’impose à nous, organisé autour de sa Mosquée consacrée au disciple de Mahomet, Eyüp, dont les reliques sont à l’origine de nombreux pèlerinages. Blanches mariées, jeunes garçons en habits d’officiers célébrant leur « Massallah » (circoncision) côtoient les femmes voilées de noir, familières de ce quartier réputé intégriste.

 

Nous nous retrouvons sur la colline dominant la Corne d'Or, là où Pierre Loti se laissait envahir par l’Orient, tout en rêvant à Ayzadée. La vue est magnifique et mène notre regard jusque de l’autre côté, là où s'étend la ville nouvelle. Nous profiterons de ce spectacle durant notre descente par l’allée centrale ombragée de cyprès du cimetière d'Eyüp, jusqu'à la gare maritime qui nous permettra de regagner Eïnonü.

C’est en « Dolmüs boat » que nous descendons la Corne d’Or, ces ferries qui pour un tarif unique d’un million cinq vous mènent d’une rive à l’autre. À Istanbul, on prend le bateau comme on prend le métro à Paris, c’est assurément beaucoup plus romantique.

Nous aborderons l’Istanbul du 20e siècle par le pont de Galata, un pont à deux niveaux, grouillant de vie, un peu à la manière des ponts du Moyen Age. Boutiques, vendeurs à la sauvette, restaurants où l’on vient déguster les poissons fraîchement pêchés dans le Bosphore, cafés où fumeurs de narguilés et joueurs de backgammon se côtoient assis devant un thé. L’étage supérieur est réservé au trafic et aux nombreux pêcheurs.


Une ruelle en pente nous conduit jusqu’à la Tour de Galata, ancienne tour génoise qui, de son sommet, permet au regard d’embraser tout Istanbul et de mieux comprendre cette ville toute en relief, cernée par la mer.

Un antique tramway style « cable car » de San-Francisco facilite notre ascension vers Taksim, vaste place cosmopolite, bordée d’hôtels, de banques, de complexes touristiques, culturels et surtout de flâner dans le Boulevard Istiklal, où les commerces portent maintenant des noms internationaux. Même les « passages » ne sont pas sans rappeler nos célèbres « passages parisiens ». Nous croisons devant le Lycée Galatasaray tout un groupe d’étudiants sobrement vêtus, portant cravates.

Nous sommes loin de cette image de horde un peu débraillée croisée devant certains des établissements scolaires français.
Nous voici au cœur d’une ville tournée vers l’Occident et l’Europe, une ville dynamique.

Nous ne pouvions quitter Istanbul sans mettre le pied dans la « ville asiatique » qui n’a d’appellation que le fait qu’elle soit bâtie sur le continent asiatique. Une traversée qui nous a permis, au retour en ferry, de jouir d’un splendide coucher de soleil.


Une soirée animée par les Derviches Tourneurs ; pas ceux qui se donnent en spectacle dans les lieux touristiques mais bien les authentiques, ceux qui font partie d’une secte religieuse un moment interdite par Ataturk mais si ancrée dans la tradition turque qu’elle est toujours présente.

 

Pour nous Istanbul restera avant tout une ville orientale dominée par d’impressionnantes mosquées surmontées d’aériennes coupoles en cascades et de fins minarets offrant un spectacle féerique aux couchers du soleil, une ville où parfums et couleurs se font écho, une ville où il fait bon s’attabler sur les terrasses dominant la ville, une ville où il faut savoir vivre l’animation de la rue, une ville où la mer toujours présente invite à prolonger le voyage.








Fin des épisodes 2003

Martine et Pierre