Mise à jour : 2015
___ Les carnets de bord de Martine___

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Carnet de bord 2002

Pantelleria (Île italienne)

Jeudi 18 avril de Zembra à Pantelleria

6 heures. C’est l’heure ! 60 milles à parcourir et l’arrivée dans une île totalement inconnue qu’il convient d’aborder au grand jour.

Jusqu’au Cap Bon, frontière géographique entre la Méditerranée occidentale que nous connaissons un peu et la Méditerranée orientale à découvrir, la mer est encore inconfortable.

Le vent plein arrière nous oblige à tangoner le génois. 6,5 / 7 nœuds. Il n’y a plus qu’à se laisser porter vers notre nouvelle escale Pantelleria, la plus grande des îles Pélagie. Une fois le Cap Bon doublé, c’est à nouveau la grande bleue pour nous tous seuls. La mer s’est adoucie et nous pouvons sereinement profiter de cette immensité qui semble nous appartenir. En approche de l’île elle se dresse devant nous et nous présente un splendide cratère. Notre carte routière est trop imprécise pour pouvoir situer le port. À la VHF, nous obtenons sa position et l’assurance que nous serons accueillis. C’est plus rassurant dans un port assez « rustique ».

Entrée du port. La bouée verte est bien présente mais où est la rouge ? Nous la retrouverons plus tard dans le port dans un endroit incongru, arrachée par une ancienne tempête. Une aussière à un marin italien et l’autre à la Marine Nationale venue spécialement pour nous. Et nous voici amarrés dans ce petit port fort sympathique dédié aux pêcheurs et sans structure d’accueil pour les plaisanciers donc pas d’eau ni d’électricité… mais beaucoup de gentillesse.

16h Nos vélos sont brandis et nous partons en reconnaissance. Nous découvrons un petit port pittoresque avec ses maisons cubiques ocrées cernant le « puerto vecchio » (ou vieux port) Il ne vaut mieux pas s’y aventurer en bateau de peur d’y rencontrer des restes de l’ancienne digue phénicienne qui émerge traîtreusement par endroits.

Vendredi 19 avril Pantelleria

Un petit tour avec les vélos, mais que de côtes. Demain, nous louerons une voiture pour explorer l’île. La côte est superbe et le professeur de géologie s’enflamme pour un petit volcan dont le cratère caractérise un volcan à projection de scories et de bombes volcaniques (semblable à l’Etna). Le guide acheté hier va nous permettre de préparer notre itinéraire.

Rencontre avec notre premier « baroudeur » de la Méditerranée, « Mitch » qui navigue en solidaire sur « LADILAFÉ », un Samouraï de seulement 7,5m et qui attend ses amis venant de Tunisie sur Chou Chou 3.


Samedi 20 avril À la découverte de Pantelleria

Où comment une petite île de 83m2, 51 km de périmètre, née d’éruptions de volcans qui couvent encore sous nos pieds, a su, au cours des ages et des civilisations qui s’y sont succédées devenir un lieu plein de charme et de mystère. « La Perle Noire de la Méditerranée » dans un magnifique écrin d’un bleu profond.

Terre conquise par l’homme, centimètre après centimètre, sur des roches volcaniques encombrantes et finalement empilées en murets pour définir la petite parcelle de chacun et, sur les pentes des volcans, pour préserver la terre chèrement dégagée. Roches devenues aussi petites maisons basses aux murs très épais aux toits arrondis pour recueillir l’eau très rare et la conduire ensuite par des canalisations dans de hautes citernes de pierres. Il y en a partout de ces maisons carrées, les « Damusi » même dans les lieux les plus isolés qui vous rappellent d’avantage des abris de berger dans la montagne.

Terre apprivoisée peu à peu où vignes et oliviers réussissent à trouver assez d’eau pour pousser. Les vignes donnent des vins rouges, blancs et surtout un muscat très concentré d’excellente qualité. En cette saison, une infinie variété de fleurs, géraniums, bougainvilliers, gueules de loup, capriers, marguerites forment des tapis multicolores qui contrastent avec la couleur sombre des pierres de lave. Et, en arrière plan, ces volcans de tous types et de structure très explosive, toujours vivants sous nos pieds. La grotte de Sataria où Ulysse a peut-être coulé des jours heureux avec Calypso tandis que la douce Pénélope s’évertuait à éloigner les soupirants offre deux bassins où coule de l’eau à 45°. La grotte du Bagno Ascietto sur le flanc élevé de la Montagne Grande qui borde une des trois redoutables Caldeira permet de profiter d’un sauna naturel très agréable et très chaud. Plus loin, dans Favare Grande, des jets de vapeur d’eau sortent de trous dans la roche, trous par lesquels on entend un grondement semblable au puissant ronflement d’une forge. Satan, y es-tu ?

Une île aux visages multiples découverts au détour de routes sinueuses, de chemins caillouteux, une île qui se mérite et qui, au fur et à mesure d’images engrangées fascine.

Une île très attachante qui, après avoir souffert de l’âpreté de la vie qu’elle offrait renaît par le tourisme pur et l’attachement des vacanciers pour son architecture. Beaucoup de Dammusi abandonnés sont joliment retapés pour accueillir les amoureux de l’île dans le plus strict respect de la tradition. Hier et Aujourd’hui cohabitent harmonieusement et si, en certains lieux, le volcan rappelle brutalement sa présence par des chaos fantasmagoriques, ses pentes, ses caldeiras offrent à l’homme des possibilités de vie et d’art : travail de l’obsidienne verre noir naturel tant recherché par nos ancêtres pour y tailler des pointes de flèches et réaliser des bijoux protecteurs.


Dimanche 21 avril Pantelleria

Nous avons encore les yeux remplis des images d’hier déjà organisées dans l’ordinateur par Pierre que nous revoyons avec plaisir. Un coup d’œil au guide pour confronter la réalité ou tout au moins notre perception aux informations données dans le guide pour compléter notre approche et fixer nos souvenirs.

La pluie qui crépite dehors ne nous gène donc pas. Étrange Méditerranée qui passe en si peu de temps du sourire aux larmes avec de soudaines crises de colère « Thunderstorms » comme ils disent sur les prévisions météo lues sur le NAVTEX.

Nous accueillons à bord un couple chaleureux avec leur jeune fille de 14 ans, en fait, l’équipage de Chou Chou 3 venus en Méditerranée depuis La Rochelle et vivant depuis quatre ans totalement à bord de leur catamaran. Étranges et tellement sympathiques rencontres qui permettent un échange d’expériences vécues, bonnes ou mauvaises. Qu’on est loin des conversations de salon où chacun s’évertue à bien jouer son rôle pour refaire le monde. Il ne s’agit plus de plaisanciers ayant loué un bateau parce que cela se fait ou pour le plaisir de bains de mer mais de gens dont le regard reflète le voyage, sans cesse confrontés à des situations nouvelles et souvent imprévues. Assurément nous resterons en contact et peut-être que le hasard d’un mouillage nous reliera de nouveau, en Grèce ou en Turquie par exemple.

Lundi 22 avril Pantelleria

Une journée qui devait ressembler à ces journées où rien ne se passe, où l’on se contente de se laisser porter par les heures, les conversations multilingues échangées avec les autres plaisanciers et la découverte d’autres hommes et de femmes riches d’expérience, partage de moments privilégiés où chacun va à la rencontre de l’autre. Une visite dans une cave avec en sortant une petite réserve d’un excellent vin blanc légèrement spumante.

Une tendre conversation avec Lili qui vient de recevoir notre courrier de Bizerte et prépare gentiment la venue de Manon, une douce petite chose qui semble se trouver un peu à l’étroit dans son nid maternel.

Quelques pages pleines de tendresse lues dans un livre de Jacques Salomé prêté par Annie de Chou Chou 3, une cassette avec un conte exprimant tout l’amour que chacun peut donner avec un titre qui plaira à Lili « Les Chaudoudoux ».

Une soirée passée avec nos voisins de bateau, un couple allemand en partance pour la Sicile avec, là encore, l’espoir que peut-être nos routes se croiseront de nouveau un jour. Soirée prolongée, tous les deux, en nous laissant bercer par le bateau. Le vent souffle dans les haubans et puis, tout à coup, alors qu’une douce torpeur nous gagne …

22h10 téléphone : MANON EST NÉE 47 cm, 2,850 Kg

Et, déjà, son papa la trouve superbe. Voici ma petite bichounette devenue à son tour une Maman responsable, prête avec Paul à jouer le rôle de parents pleins d’amour à partager. La voici, ce petit bout de femme qui porte en elle un peu de nous deux et qu’il nous tarde maintenant de poser contre notre cœur. Nous allons sagement attendre le second appel de Paul après qu’il aura complété la garde robe de la Maman et de la Demoiselle pour avoir plus de détails.

Sagement ! C’était compter sans le vent qui, tout à coup se met à forcir, repoussant Logos contre le ponton. C’est le branle-bas de combat pour MOLLYMAUK et pour nous. D’autres amarres sont fixées au quai dur pour éloigner les bateaux du ponton. Logos est au milieu d’une véritable toile d’araignée tendue aux winches. Et pourtant il fait la sarabande, peut-être en l’honneur de Manon qu’il accueillera, nous l’espérons à son bord en moussaillonne.

0h30 Enfin quelques mots de Paul très rassurants. Maman et Bébé se reposent. À lui maintenant de se remettre de ses émotions.

Mardi 23 avril Pantelleria

Devant l’urgence, Martine plonge vers sa layette à terminer avant de partir et me confie la plume.

Le vent est tombé dans la nuit et nous avons pu dormir au ronron à peine perceptible du groupe électrogène. Il faut bien recharger les batteries puisqu’il n’y a pas d’électricité sur le port. Et ce frigo qui est si gourmand.

Ce matin, nous étions avec la petite Manon en pensant bien à elle pour son premier jour sur cette terre. Que les brassées d’amour que nous lui envoyons lui portent tout le bonheur que nous pouvons espérer pour elle ! Le téléphone fonctionne beaucoup aujourd’hui et nous en sommes ravis.

Cet après midi un petit tour chez le boulanger pour acheter encore une fois une vraie pizza, une fougasse comme il s’en faisait tant à Bône. N’oublions pas le petit carton de ce vin si particulier et caractéristique des sols volcaniques et les câpres confites au gros sel qui n’ont rien à voir avec ce qu’on peut trouver en France, baignant dans une insipide saumure.

Notre météo est bien passée sous le régime « petit nuage » qui peut signifier des orages mais la pression est assez élevée. Le lever de soleil nous dira si nous tentons de partir pour Malte demain matin. 110 milles pour Gozo, 35 de plus vers La Valette (24 heures de navigation si tout va bien) avant de prendre l’avion vers Manon. Nous verrons où nous nous arrêterons pour laisser le bateau.

22h. Miracle ! Le doux visage de Manon et celui de ses parents attendris apparaît sur l’écran. Qu’elle est déjà jolie cette petite. Les deux photographies sont immédiatement mises sur papier et annoncent déjà un album volumineux.